Généralités

Les sujets valent moins que les histoires !

Dans les rédactions françaises, on parle de « sujets » pour définir un article ou une vidéo. Les anglo-saxons eux, parlent de « stories ». Cela fait une sacrée différence, et ça mérite un billet.

En regardant une vidéo sans queue ni tête ou sans contenu, il vous est sans doute arrivé de vous demander : « c’est quoi le sujet » ? Un journaliste le sait bien : sans sujet, pas de reportage, pas d’article. D’aucuns ajouteront qu’au delà du sujet, c’est l’angle qui prime. Certes. Mais je ne suis pas là pour donner une leçon de journalisme. Je souhaite juste attirer votre attention sur un point de sémantique. Et sur ce vocable « sujet », qui, parce qu’il a plus d’un sens, est paradoxalement réducteur… Je m’explique.

Un témoin, sinon rien

On ne fait pas une vidéo d’information intéressante aujourd’hui sans un ou plusieurs témoignages. L’oralité est devenue essentielle, indispensable. Même dans les vidéos sociales. Qui accepte encore de visionner plus de quelques secondes des vidéos juste « textées », sans témoignage ? Seulement composées d’images d’illustration avec deux lignes de texte sur chaque plan, comme les toutes premières vidéos de Brut il y a des années, les vidéos ennuient aujourd’hui. A l’inverse, trop de vidéos -en France en particulier- se contentent souvent d’un témoin, souvent face caméra, le regard vissé dans l’objectif. Celui-ci racontant au mieux une anecdote savoureuse, au pire son parcours voire toute sa vie, sans parfois une image pour illustrer son propos. De fait, le « sujet » de ces vidéos, c’est la personne ! Logique, puisque le mot « sujet » ne désigne pas seulement le thème du contenu, mais aussi une personne.

– C’est quoi ton sujet ?
– Eh ben je comptais interviewer Tartampion à propos de…
– Vendu !

Raconte-moi une histoire

C’est ainsi que le « sujet » de nombreuses vidéos sociales tourne régulièrement autour de son témoin. Notamment les innombrables « vidéos métiers » qu’affectionnent les services RH pour leur aspect « role model ». Et qui, faute d’une structure moins attendue que « ton parcours, ton poste et tes aspirations » et de vrais plans d’illustration, passent souvent à côté de leur fonction. Parce qu’au final, ces vidéos ne racontent pas grand chose : iIl y a bien un « sujet » (la personne qui parle), mais il manque une histoire.

Chez nos confrères anglo-saxons, un reportage n’est pas un « sujet » : un reportage est une « story ». Pas au sens -déplacé- d’Instagram ou de Facebook où images fixes et/ou animées s’enchainent en écrans successifs avec plein de trucs graphiques collés dessus. Non, « story » au sens « début, milieu et fin » avec la volonté d’une narration un peu cinématograhique où les plans d’illustration s’enchaînent comme dans une BD, ou comme s’ils avaient été storyboardés.

L’intention qui compte

C’est un point de sémantique qui peut sembler anodin. Il est, pour moi, essentiel. Réaliser une « story » plutôt qu’un « sujet », c’est avoir une intention narrative qui fait défaut à trop de vidéos. Une histoire implique d’abord un début et une fin. Sur ce point, les vidéos les moins abouties s’en sortent avec un carton de titre au début, et un carton de fin ou de remerciement à l’autre bout. Mes étudiants adorent coller un plateau en intro de leurs vidéos pour m’expliquer ce qu’ils ont voulu conter… C’est parfois bien utile tant le déroulé s’égare, pour finir bien souvent à cent lieues de l’idée de départ. Mais l’intention « d’histoire »d’une vidéo  tient surtout la continuité de la narration. Au lieu de se contenter de plans illustrant tant bien que mal les propos, les JRI les plus pro s’appliquent à créer des séquences où les plans s’enchainent comme dans un film : le lieu, le personnage qui y arrive, ce qu’il y fait, ses mains qui manipulent, l’expression de son visage absorbé par son action passe, avant de sortir du lieu, puis de pénétrer dans un autre…

Et je serais tenté de dire que les promesses de l’IA côté images animées sont, aujourd’hui encore, loin de prendre ça en charge. Et c’est tant mieux.

Laurent Clause

Laurent Clause

Journaliste par vocation, spécialiste des nouvelles technologies depuis la fin des années 80, je suis devenu réalisateur d'images et formateur (à la vidéo en général et à la "vidéo mobile", sur smartphone, en particulier). J'ai enseigné le MoJo à l'Ecole de Journalisme de Sciences-Po Paris et interviens avec ma société Milledix notamment à Gobelins l'Ecole de l'Image, pour Samsa, le groupe CapCom ou aux Antilles et à la Réunion pour Inzy-Learning . J'enseigne l'écriture audiovisuelle, le montage avec FCP X, Adobe Premiere Pro ou Da Vinci Resolve et bien sûr la vidéo mobile, le MoJo (mobile journalism), le tournage avec Filmic Pro, Open Camera ou autres et le montage notamment avec Adobe Rush, LumaFusion ou VN..

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