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Vidéo-mobile : fantasme et  réalité

« Tout le monde peut cuisiner ». La phrase du dessin animé « Ratatouille » se décline pour la vidéo-mobile : smartphone en poche, chacun dispose d’une caméra HD (voire UHD) et d’un outil de montage professionnel. Ça c’est le constat de départ, à l’origine de la révolution MoJo… Mais c’est aussi un joli fantasme qu’il est temps de révèler.

Aimer manger, posséder les meilleurs livres de recettes et tous les ustensiles de cuisine ne suffiront pas à faire de vous un chef étoilé. Sinon, nous serions des millions de « toqués » et le métier de chef aurait cessé d’exister. C’est un peu pareil avec le smartphone et la vidéo : chacun peut disposer de l’outil et acquérir plus ou moins rapidement les compétences. Mais cela n’est malheureusement pas suffisant.

D’abord il faut être un peu geek. En tout cas aimer suffisamment la technique pour accepter d’assimiler nombre de notions indispensables. Résolution, framerate (en fps), débit (en Mbps), fréquence d’échantillonnage (en kHz)… Et puis être prêt à farfouiller dans les menus et options du smartphone pour tester différentes configurations ou régler d’inévitables petits  problèmes. Et acheter perpétuellement de nouveaux accessoires pour augmenter don smartphone, améliorer ses tournages en profiter de nouvelles possibilités.

Ensuite, il faut être un « créatif 360 » en ayant un réel sens artistique pluridisciplinaire. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser la lumière et de savoir composer une image dans les règles de l’art. Il est question d’écriture, de donner du sens et le bon rythme aux images au moment du montage, de rédiger un texte de off qui ne paraphrase pas la vidéo, crée du lien et captive, de « trouver » sa voix et de la poser correctement entre les sonores, de choisir éventuellement les bonnes musiques de fond et pas une musique à tout prix et de les utiliser au bon moment et avec le bon dosage de volume, d’utiliser leur tempo pour monter en cadence, et enfin d’habiller au minimum le sujet en post-prod avec des panneaux, synthés voire quelques effets, tant qu’ils restent de bon goût.

Enfin, il faut du temps. Enormément de temps au début, un peu moins au bout de mois ou d’années de pratique, autant pour filmer que pour monter. Dans un tournage pour le cinéma, le plus long c’est l’installation et dans une moindre mesure la désinstallation. Cela ne vous concerne pas si vous filmez pour produire des sujets de news. Mais vous n’y couperez pas quand vous ferez une interview : trépied, cadre, lumière, son, mise au point, exposition… Même en configuration légère (« MoJo » par exemple), plusieurs minutes sont nécessaires pour la mise en place du dispositif de l’entretien avant de pouvoir presser le bouton « record » si l’on veut filmer quelque chose de pro(pre).

Il faut ensuite du temps pour transférer les vidéos sur un ordinateur, si on a choisi de monter sur un logiciel plutôt qu’avec une appli du smartphone, et dans tous les cas pour « dérusher », autrement dit faire le tri des images et sélectionner les bonnes, au minimum les meilleures, et les extraits des interviews que l’on utilisera. D’autant plus chronophage et fastidieuse que l’on a filmé d’images -les jeunes JRI ont une tendance naturelle à ramener beaucoup plus que nécessaire-, le dérushage est la phase principale du montage. Le reste n’est qu’ajustement et peaufinage… Mais les bricoleurs le savent, les finitions elles aussi demandent du temps !

Et du temps, on en a de moins en moins. Surtout quand on a un métier dont l’activité principale n’est ni de filmer ni de monter. Alors oui, dans l’absolu, « tout le monde peut cuisiner ». Mais tout le monde n’en a ni le temps, ni le talent, ni l’énergie et l’envie suffisante. Même « mojo », mobile ou léger, qu’importe le vocable, JRI ou réalisateur d’images reste un métier.  Ouvert à davantage de gens grâce aux smartphones et dont on peut apprendre les bases en quelques heures. Mais dont la maîtrise, dans une optique de production, demande des mois ou des années de pratique, plusieurs onces de talent dans différents domaines et des connaissances techniques à faire évoluer de façon permanente en même temps que les technologies. Bref, un truc de « pro ». Et c’est tant mieux pour les professionnels dont je suis, qui formons et partageons volontiers nos connaissances et nos retours d’expérience, mais gagnons aussi notre vie en tournant/montant pour différents clients, en « MoJo » mais pas seulement.

Laurent Clause

Laurent Clause

Journaliste par vocation, spécialiste des nouvelles technologies depuis la fin des années 80, je suis devenu réalisateur d'images et formateur (à la vidéo en général et à la "vidéo mobile", sur smartphone, en particulier). J'ai enseigné le MoJo à l'Ecole de Journalisme de Sciences-Po Paris et interviens avec ma société Milledix notamment à Gobelins l'Ecole de l'Image, pour Samsa, le groupe CapCom ou aux Antilles et à la Réunion pour Inzy-Learning . J'enseigne l'écriture audiovisuelle, le montage avec FCP X, Adobe Premiere Pro ou Da Vinci Resolve et bien sûr la vidéo mobile, le MoJo (mobile journalism), le tournage avec Filmic Pro, Open Camera ou autres et le montage notamment avec Adobe Rush, LumaFusion ou VN..

One Comment

  • Complètement d’accord : il en est de même pour les métiers de plombiers, la musique, le sport, et bien d’autres activités… Mais entre le blanc immaculé du professionnel et le noir du novice qui ne sait même pas que son smartphone à une fonction caméscope, il y a toutes les nuances de gris 😉

    Accessoirement – au-delà de la technique – dans MOJO il y a « JO » comme journalisme et ce métier me semble par contre plus subtile à maîtriser que les techniques vidéo-mobiles.

    Point important : Les usages et les techniques de la vidéo se démocratisent pour 2 raisons essentielles : le prix des équipements et l’accessibilité des outils de montage (les logiciels grand public comme Windows Movie Maker permettent de faire des vidéos respectables comme ces vidéos de l’excellent groupe ELECTRO DELUXE, même s’ils sont très limités vu de l’œil des pros). N’oublions pas la gratuité et la puissance de la diffusion via YouTube et les réseaux sociaux ! Aussi je suis convaincu, pour le voir sur le terrain, que les entreprises de toutes tailles vont de + en + s’approprier ces outils : certaines réaliseront des vidéos pathétiquement amateures, d’autres rivaliseront avec les pros.

    In fine, les smartphones ont l’énorme avantage d’être dispo instantanément pour filmer un événement imprévu (à l’exemple de cette vidéo sur Alain Juppé que j’ai faite au débottée avec mon iPhone). L’enjeu est d’avoir le réflexe de sortir son smartphone au bon moment pour savoir capter l’événement (de préférence en 16/9e horizontal…)

    Ce n’est pas à vous que je vais devoir faire découvrir les possibilités que l’on a de s’informer (et se former) via des blogs – comme le vôtre qui est excellent – et les MOOCs (cf. école des Gobelins 🙂 )

    Quoi qu’il en soit, il y aura toujours une place pour les professionnels. Concernant la vidéo – comme pour beaucoup de métiers – il y aura simplement de + en + d’amateurs passionnés qui feront de leur passion leur métier.

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